Pépé Jean-Kallé, l'éléphant de passage.

Publié le par Célestin S. Mansévani

Pépé Jean-Kallé, un éléphant de passage.

Dans mon article d’hier intitulé « Oeuvres choisies 3 : Trahison », j’ai promis de vous parler de Pépé Kallé à l’occasion de la soirée dansante « Hommage à Pépé Kalé » organisée par Boeing 737, son ancien compagnon d’armes et soliste, en collaboration avec une association des mamans veuves.

Dans les années 68-69, je n’avais aucune idée que je me retrouverais un jour à  Télé-Zaïre. C’est à cette époque-là que Pépé Kallé évoluait dans Bella-Bella. J’aimais bien écouter et danser les chansons comme « Masuwa » et « Taty ». C’était toute une chorale avec les Frères Soki, Mulembu et Assosa. Plus tard, j’ai reconnu sa voix dans l’orchestre « Les Kamalé » en compagnie de Canta Nyboma mais je n’aimerais pas m’avancer sur cette période non plus. J’ai effectué mon premier stage en France 1970-1971. Quand j’ai débuté à Télé-Zaïre en qualité d’assistant à la télé, j’étais encore tout nouveau. Il m’a fallu du temps pour m’affirmer et me familiariser avec les musiciens.

Revenons à Pépé Kallé. Il a vraiment connu une longue et fructueuse carrière. Je dois avouer que je n’ai jamais réalisé de clip avec lui. Il était souvent en voyage.  Deux fois, j’ai taillé bavette avec lui pendant les répétitions  pour le compte de l’émission « Kin-Kiese » au studio A (Mama Angebi) de la Cité de la Voix du Zaïre. Chaque fois, il m’a dit : « Vieux, bana balela nzala »  Ça s’est arrêté là. On n’a jamais pu prendre un vrai rendez-vous. J’ai aussi rencontré quelques fois Dode Matolu, qui est le beau-fils de l’ex. -président Mayifuila du F.C. Daring Imana, un de mes cousins éloignés. Nous avons jasé d’autre chose que de clip.

Je me souviens de l’orchestre Empire Bakuba qui a été sacré plusieurs fois orchestre de l’année à la fin des années soixante-dix. Il était donc normal que Pépé Kallé fût souvent reçu comme invité par les producteurs respectifs de « Chronique musicale»

Ceux-ci amenaient des photos et des séquences filmées et montées et me remettaient le tout. Quelques fois, nous improvisions un plateau et filmions un play-back en direct de l’artiste invité. En ma qualité de réalisateur de Télé-Dimanche et des émissions qui en faisaient partie, j’étais là pour diriger les équipes techniques, illustrer les propos, veiller à la beauté artistique et balancer tout ça sur antenne.

Dans certains cas, le chanteur s’arrangeait avec le producteur pour que, dans la semaine,  je réalise préalablement avec lui un clip en studio ou en extérieur que le présentateur apportait et insérait le dimanche parmi les autres éléments de l’émission.

Ce que j’aimais de la télé, c’est qu’on s’amusait bien. On aimait bien faire  quelques blagues entre nous ou avec les musiciens invités. Tabu Ley l’a dit dans sa chanson intitulée « Mass Media »: Likambo olobi na musicien akoyemba » (ou akoloba) C’est ainsi que j’appris que, en raison de sa voix  et de sa corpulence, le Grand maître Franco Luambo Makiadi, qui aimait faire de l’humour noir, avait surnommé Pépé Kallé « Baffle »

Je vais vous raconter une anecdote. C’est cet incident cocasse qui eut lieu à la RENAPEC (Ratelsco) Aux temps du fameux combat du siècle, qui opposa George Foreman à Muhammad Ali, en sortant du studio où il venait d’être interviewé et entouré d’une meute de journalistes et gardes du corps, le grand Ali rencontra par hasard Pépé Kallé qui, lui, venait d’entrer dans le bâtiment et se dirigeait vers le studio. Vous savez comment le grand champion adorait les blagues et aimait attirer l’attention sur lui!  En apercevant, Pépé Kallé, il fonça sur lui et lui asséna quelques jabs et crochets en s’écriant : « George Foreman ! George Foreman ! » Le pauvre Pépé Kallé se cacha tant bien que mal le visage en criant : Hé ! Hé! Hé! Muhammad passa finalement son chemin pendant que Pépé Kallé, qui n’avait pourtant pas été sonné puisque les coups avaient été légers, retrouva finalement ses esprits et son souffle coupé. Tout le monde partit d’un rire fou… 

Revenons, si vous le voulez bien, à la carrière de l’artiste. Je le vois sur trois périodes : la première avec le Bella-Bella puis les Kamalé ; la deuxième avec son propre orchestre composé entre autres de Dode Matolu Papy Tex, Dilu Dilumona, Doris et 737; la troisième avec Biyeku Djuna Mumbafu et Lofombo. C’est la seconde  formation qui correspond à mon époque à Télé-Zaïre. Personnellement, je considérais Pépé Kallé comme un romantique. L’une de mes chansons préférées fut « Muana ya Bangui » mais j’aimais également « Njoli », « Guigui », « Madi Madimba » et autres. Mais ce fut aussi un chantre de la vie quotidienne. Il n’y a qu’à se rappeler « Sombokila » et « Monama » J’ajouterai que ce fut un artiste très sympathique qui n’a jamais manifesté quelque arrogance ni eu des démêlés avec les autres, du moins à ma connaissance.  Plus tard, il s’est rapproché de la diaspora euro-occidentale avec « Jossart  Lubaki», « Moyibi » et « Gérant » entre autres.  Il a aussi fait le bonheur des Antillais avec quelques voyages là-bas. À mon avis, c’est dans « Article 15 » qu’il s’est vraiment révélé aux mélomanes. À l’opposé des chantres de la « Sape », lui, il s’est fait l’avocat du « Salongo » C’est en quelque sorte une satire  de la situation économique catastrophique que traversait le pays mais le Vieux Léopard n’y vit que du feu! Du coup, la débrouillardise devlnt un « modus vivendi » de beaucoup de jeunes. En tout cas, il a fait l’éloge de « Bato ya pusu », nous rappelant un vieux proverbe : « l’habit ne fait pas le moine »

 

J’ai beaucoup apprécié sa recherche d’originalité. Son scoop avec le duo Emoro-Jolie B.B. a été très réussi, sans oublier les danses qu’il a soit créées soit adoptées dont Kwassa-Kwassa, Sous-marin  et Mayeno.  Le choix de Bileku comme chanteur et animateur fut aussi judicieux. Je me souviendrai toujours du spectacle de l’orchestre à Abidjan avec Canta Nyboma et Bopol Mansiamina entre autres. Il m a été très rythmé et très coloré.  Je connais des Québécoises, des Blanches, qui ont retenu leurs larmes en apprenant sa mort. Elles adorent sa musique et achètent ses CD en Martinique où elles se rendent souvent passer leurs vacances pour se bronzer au soleil.  Sans être polyglotte comme Sam Mangwana, en plus du lingala,  Pépé Kallé s’est aussi bien débrouillé pour balbutier des langues autres que le français (Adjatou) et le tshiluba (Dadou), notamment le kikongo (Article 15), l’anglais (Full option), le mongo (Mboyo), le centrafricain (Muana ya Bangui) et le créole(Pou moun pa ka bougé)

Sur le plan de sa sociabilité, sa main tendue au vieux Wendo et l’aide qu’il aurait accordée à Madilu à son éviction de l’O.K. Jazz, pour l’aider à monter son propre orchestre,  sont des gestes qui l’honorent.

En ce qui a trait à sa vie privée, la radio-trottoir a dit de lui que c’était un gars très bien organisé et qu’il était l’un des plus riches de sa génération. Par contre, je ne sais que penser de ses activités spirituelles. D’aucuns ont affirmé qu’il faisait partie de la secte Maikari et qu’il effectuait des « voyages  astraux» dont le dernier lui aurait coûté la vie suite à une erreur fatale de sa femme.  Le témoignage de Mama Kalenga, cet ancien «hibou » de Mobutu, repentie et convertie au christianisme, semble le confirmer. Je ne vais pas m’attarder là-dessus. Kinshasa mboka balinga masolo ! Ce que je trouve dommage, par contre, c’est que l’orchestre Empire Bakuba ne lui ait pas survécu.

Pour terminer, j’ai ouï-dire que les mélomanes le considéraient comme l’une des meilleures 2ème voix de sa génération. Dans « Nalembi » de Simaro Masiya Lutumba, aux côtés de Mbilia Bel, il  nous en a fourni la démonstration mais c’est dans « Amba  2 » aux côtés de Canta Nyboma qu’il m’a le plus impressionné à ce titre. Il paraît que le poète Simaro aurait confié à des mélomanes qu’il s’apprêtait à composer un tube que seul Pépé Kallé serait capable de chanter. Je ne sais s’il l’a fait. En tout cas, force m’est de revenir sur sa prestation dans « Trahison » C’est une longue chanson avec beaucoup de changements de tonalités dans la voix, de véritables pièges pour un chanteur néophyte ou non avisé. Et pourtant, Il s’en est tiré avec beaucoup de brio, rendant encore le message plus romantique. Je le vois encore avec sa longue chemise blanche s’en allant vers une frontière imaginaire : « Moleki nzela ye wana akei »

On dirait que Simaro Lutumba Ndomanueno  a composé cette œuvre sur mesure et  qu’il y prédisait le départ tout proche de Pépé Kallé. Le prétendu voyage astral, combiné à cette dernière image du clip « Trahison », le donne à penser. Peu importe ! Après une longue et fructueuse carrière, le grand éléphant, qui était de passage parmi nous, a laissé, avec ses grosses pattes, des traces - que dis-je-, des empreintes  bien visibles sur le sol derrière lui.  Une invite, sans doute, à quiconque de la nouvelle génération veut bien lui emboîter le pas…

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