Arrestations et couvre-feux

Publié le par Vieuxvan

Arrestations et couvre-feu.

Je n’ai jamais eu une bonne opinion des prisons. Dans mon enfance, j’ai appris que toutes les personnes qui allaient en prison étaient de mauvais sujets. Je ne m’étais jamais douté à l’époque que certains détenus l’étaient injustement. Tout a changé jusque j’eus grandi et que j’appris l’histoire du prophète Simon Kimbangu.

J’entendais souvent la voix d’Antoine Mundanda dans « Nzela ya Ndolo » mais, ne connaissant pas Kinshasa à l’époque et sans doute parce que j’étais trop jeune, je ne pouvais pas deviner qu’il y eût des arrestations arbitraires ici et là. Les rumeurs concernant le trompettiste Willy Mbembe, qui aurait fait la prison pour avoir couché avec une femme blanche,  ne m’ont pas vraiment éclairé sur le sujet, Kinshasa étant la ville des bobards. Il a fallu que j’attende l’indépendance pour être moi-même témoin oculaire de ces arrestations. Deux ou trois fois dans ma vie, j’ai été l’objet de sévices de la part des forces de l’ordre. Voici une anecdote vécue personnellement. En 1964,  alors que je résidais à Ngiri-Ngiri, j’ai brûlé un couvre-feu. Nous avons été embarqués derrière un gros véhicule de la gendarmerie. Je me suis retrouvé avec d’autres personnes dans une salle de détention de Mont-Ngafula où les soldats nous en ont fait voir de toutes les couleurs. Après nous avoir torturés, il vint à l’esprit du chef de peloton de s’amuser un peu à nos dépens. Il nous soumit à un concours de danse. Le lauréat serait libéré sur-le-champ. On fit danser les personnes des deux sexes en couples. Nous devions battre des mains au rythme d’un cha-cha-cha  et chanter :

« Mboka oyo, balingi biso te. Biso bayaka, balingi biso te »

Ce fut sous forme d’éliminatoires. Il y avait là deux vieilles femmes kimbanguistes qui ne savaient pas du tout danser. Elles reçurent des matraques sur la tête. Quant aux hommes, la plupart étaient âgés. Ils reçurent le même traitement. Moi, j’étais là, confronté aux autres qui se faisaient éliminer les uns après les autres. C’est normal. J’étais plus jeune qu’eux, sportif et « mutambula mpimpa » Le soldat poussa l’injure jusqu’à ramener une des vieilles dames pour qu’elle m’offrit une dernière danse. Le trophée du guerrier ! La pauvre dut s’exécuter malgré elle. Le soldat trouvait qu’elle ne dansait pas bien à côté de moi –la pauvre ! - et il en profita pour lui asséner quelques coups de matraques sur les jarrets et les fesses, malgré ses plaintes et pleurs, pour l’obliger à mieux se trémousser. Rien n’y fit. En tout cas, tous les détenus furent contraints de m’applaudir et je fus libéré illico presto en pleine nuit. Il devait faire 2 heures du matin et il fallait que je regagne à pied la rue Bolafa à Ngiri-Ngiri au numéro 6 où j’habitais, en face du wenze « Callé ba nzazi » Pour cela, je devais prendre des raccourcis. Il faisait nuit noire. J’avais peur de tomber sur un autre groupe de soldats ou de me faire égorger par des voyous. Tout se passa sans encombre. Heureusement que je connaissais bien la ville ! Adolescent, j’avais pratiquement joué sur tous les terrains de football de la ville. Je peux vous les citer et situer tous, de Barumbu à Mont-Ngafula, en passant par Lingwala, Kintambo et Mbinza Delvaux.

L’autre incident s’est passé plus tard alors que j’étais secrétaire communal à Ndjili. Je fus embarqué par des PM et conduit temporairement au bureau communal où les soldats avaient établi leur quartier général provisoire. J’étais prisonnier dans l’enceinte de mon propre fief ! Comme j’avais bu et que je me montrais arrogant, les soldats me tabassèrent et me coupèrent la barbe avec un tesson de bouteille. Au moment où ils nous embarquaient dans un véhicule pour nous amener ailleurs, le bourgmestre Georges Luemba, prévenu par des concitoyens, vint barrer la route au véhicule réclamant ma libération. Les soldats jurèrent qu’il n’y avait personne qui répondait à mon nom ni à mon signalement. À cet instant, je m’écriais : « Patron, je suis là ! » Ce fut la pagaille. Le bougmestre Luemba faillit en venir aux coups avec l’un des policiers. Le chef du peloton appela  alors leur supérieur qui devait se trouver quelque part dans la ville. Il s’amena sur les lieux un peu plus tard. Nous reconnûmes le lieutenant Rombeau, un gars instruit et sympathique, qui ramena de l’ordre sur les lieux. L’incident fut clos. Le lieutenant et moi devînmes amis par la suite.

Il y a un autre incident à l’époque du bourgmestre Pierre Lomama. Un policier  avait arrêté arbitrairement une de mes petites amies pour une question de dette.  Ça a failli se régler aux poings. Le bourgmestre et le chef de police sont intervenus et ça s’est terminé sans coup férir. Au Canada, on n’arrête pas quelqu’un pour une histoire de dette. Ça fait partie du Code civil. En R.D.C., à mon époque, certaines personnes avaient tendance à abuser de leurs fonctions pour faire appliquer le code pénal là où il ne fallait pas. La loi du plus fort, quoi ! Avec moi, ça ne marchait pas !

À part ces cas personnels, je me souviens de Vieux Degasin, un de mes vieux que j’ai connu grâce à l’émission « Le coin des curieux » Il habitait Lingwala. Il fut arrêté, semble-t-il, suite à un conflit anonyme avec un colonel au temps de Mobutu et interné à la célèbre prison d’Ekafela dans la province de l’Équateur, la même qui a servi de geôle à  Belobi alias Meridjo de Zako Langa-Langa.

Je suis passé maintes fois non loin de la prison de Luzumu en circulant sur la route du Bas-Zaïre mais jamais je n’y suis allé, même pas en tournage. C’est là que Luambo Makiadi et son orchestre ont été enfermés avec leurs instruments avant que le Grand maître inventât un subterfuge pour être transféré au C.N.P.P. de Kinkole.

J’ai aussi connu la prison pour jeunes délinquants de Madimba. Notre équipe du Collège Mbansa-Mboma a rencontré la leur plusieurs fois sur un terrain de football situé non loin des murs de la prison. C’est là que j’ai connu le vieux Paul  Masaka alias « De Masquin » qui a évolué à une certaine époque dans le F.C. Dragons

Les seules fois où je suis entré dans une vraie prison, c’est lorsque j’ai été deux fois rendre visite à la prison de Makala au bourgmestre Georges Luemba (Voir hommage à Georges Luemba) J’y ai sympathisé avec François Kuba, son compagnon de cellule, qui y purgeait aussi sa peine. Je le connaissais en tant que président du F.C. Himalaya, l’une des bêtes noires de F.C. Imana aux temps de  Pelé Lembe et Lupeta. J’ai sympathisé avec lui aussi. Il y avait longtemps que l’époque où j’étais chauvin était révolue !

J’ai toujours été pour la justice mais en même temps contre les arrestations à caractère politique comme ce fut le cas des Mahatma Gandhi, Nelson Mandela,  Simon Kimbangu, notre prophète, Patrice Émery, notre héros national,  ainsi que d’autres martyrs obscurs, victimes des règlements de comptes politiques. Ici en Amérique du Nord, en tout cas, aucun procès n’est truqué. Les juges ont  et appliquent tous les pouvoirs que leur confère la loi. En même temps, peu importe son rang social, personne n’est intouchable.

Depuis que je vis au Canada, je bénéficie de la pleine liberté  et je me sens en parfaite sécurité. Je ne les échangerais pas pour tout l’or du monde ! Je vais bientôt déménager aux États Unis dans le cadre de mon travail. Mais je compte conserver mon statut de Canadien. À part les tempêtes de neige et la discrimination camouflée qui sont les deux côtés sombres du Québec, j’estime que je suis parfaitement bien dans mon assiette ici. Le contrôle de pièces d’identité, les arrestations arbitraires, les procès truqués et autres formes d’injustices dont j’ai horreur, tout cela ne fait pas partie du vocabulaire canadien. Alors, qui dit mieux ? J’espère, pour mon beau pays d’origine, la R.D.C, que, avec le temps, les gens vont pouvoir se sentir aussi plus en sécurité que par le passé. 

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