Kinshasa va-t-elle disparaître? #1

Publié le par Célestin S. Mansévani

Kinshasa va-t-elle disparaître ?  #1  

Je me souviens de la chanson « Twist à Léo », une composition de Manu Dibango, interprétée par l’African Jazz. Elle disait : « De Limete à Kalina, on danse twist à Léopoldville » C’était la belle époque.  Aujourd’hui c’est un autre son de cloche. On ne danse plus twist à Kin, mais on crie au secours, un peu partout. Dans presque toutes les communes nées après l’indépendance, le sol s’écroule. Sur la route, les accidents sont devenus légion. Et, comme pour en rajouter, des avions s’écrasent, faisant des dizaines de victimes. Dans une série d’articles à quatre volets, je vais avec vous chercher à en savoir plus. Pour notre premier volet, nous allons commencer par les problèmes d’urbanisme.

LE POTENTIEL - Jeudi, le 15 Octobre 2009

Lutte contre les constructions anarchiques : aller jusqu’au bout. Depuis l’accession de la République démocratique du Congo à l’indépendance, Générose Lushiku Muya est la enième ministre de l’Urbanisme et Habitat à avoir déclaré la guerre contre les constructions anarchiques. Mais, au moment de l’application, il y a toujours deux poids, deux mesures. Soit on sacrifie les faibles, soit l’action s’arrête à mi-chemin pour ne pas sanctionner les intouchables. Dans le cadre de la commémoration de la Journée internationale de l’Habitat, le ministère de l’Urbanisme et Habitat a, du 9 au 11 octobre 2009, organisé des journées portes ouvertes. Une initiative à louer lorsqu’on sait que le problème de logement se pose avec acuité en RDC. A cette occasion, il a, entre autres, été recommandé de mener une guerre contre les propriétaires des maisons construites anarchiquement en RDC. Pour sa part, Générose Lushiku Muya, ministre de l’Urbanisme et Habitat, a pris l’engagement de faire de cette recommandation son cheval de bataille. Va-t-elle réussir là où ses prédécesseurs ont lamentablement échoué en menant des actions inefficaces sur le terrain ?

DEUX POIDS, DEUX MESURES
Les constructions anarchiques auxquelles Mme la ministre de l’Urbanisme et Habitat fait allusion sont certainement celles dont les propriétaires des parcelles ne détiennent aucun document ou celles construites sans tenir compte des normes urbanistiques. Mais, au moment du déclenchement d’une opération de destruction, c’est du cinéma qu’on offre à l’opinion. On frappe plus les faibles pour des raisons faciles à deviner.  Par Véron-Clément Kongo

Au vu de ces deux articles et en parcourant quelques titres d’articles de journaux et autres médias, je me rends compte que la situation est très préoccupante. En 1954, lorsque j’ai mis la première fois les pieds à Kinshasa, j’avais onze ans. La ville comptait treize communes et quelques 250 mille habitants. Sans trop exagérer, disons que tout le monde connaissait tout le monde. Dans chaque quartier, on savait qui passait pour la plus belle fille, qui était le garçon le plus fort, etc…Quand j’ai eu 18 ans, il y avait un gang d’aînés désoeuvrés,  qui sévissait au camp Cité Nicolas Cito, actuel Kauka. Il était dirigé par deux durs à cuire. L’un était surnommé « Abbot », l’autre « Métro » Un jour donné, tous les jeunes du quartier devenus adultes étaient regroupés sur le terrain de football situé entre Kauka et Limete. Ils étaient opposés les uns aux autres à la manière des gladiateurs de Rome, à la seule différence qu’on se battait à poings nus. Voici comment la scène se déroulait. L’un des pugilistes forcés avait une poignée de poussière dans sa main. Il devait tendre celle-ci. L’autre, son vis-à-vis, lui donnait un petit coup à sa main tendue pour faire tomber la poussière. Et il devait enchaîner en pinçant le nez de l’autre. Et le combat était engagé, sous les encouragements du groupe. Le combat se terminait aussitôt que l’un des belligérants mordait la poussière. On n’attendait donc pas que mort s’en suive. Personne ne pouvait dénoncer le gang de peur des représailles. Celui-ci ne se sentait pas coupable et disait à la rigolade qu’un homme doit apprendre à prendre des coups sur la gueule pour faire face aux défis de la vie.
Entre nous, jeunes de Kauka, nous savions donc lequel d’entre nous était le plus fort et lesquels venaient après lui. Nous livrions des matchs entre quartiers sur toute l’étendue de la ville. Je peux vous situer la plupart des terrains de football de Barumbu (Casamar) à Binza Delvaux en passant par Lingwala (Singa Kuanga), Moulaert, Bandalungwa et Léo-Deux alias  Kintambo (Mangembo) Lors des matchs, les durs à cuire nous accompagnaient et intervenaient en cas de bagarre. Il était donc facile de savoir si les autres quartiers ne possédaient pas des hommes forts plus redoutables que les nôtres.
J’ai participé malgré moi une fois aux combats de quartier de Kauka. Je me suis débrouillé tant bien que mal parce que j’apprenais du judo et du jiu-jitsu au club de François Mokono sur la rue Maringa au coin d’Assossa  dans la commune de Kasa-Vubu en face du quartier Christ-Roi. On s’était connu depuis le Collège. Quand le gang a su que j’étudiais au Collège Albert 1er,  il s’est senti fier d’avoir un intellectuel dans le quartier. Cependant, à la longue, je me serais fait terrasser, c’est sûr ! Ce n’est pas mes quelques habiletés en judo qui pouvaient me sauver. Il y avait des lutteurs qui avaient recours à des forces occultes : des tueurs potentiels. Bref, je me sentais désormais protégé quand je revenais tard soit du cinéma (il y en avait au « Cercle » en face du foyer social), soit du stade Tata Raphaël (il y avait des matchs en nocturne), soit de faire le « Ngembo » chez Vis-à-Vis,  La Cubana/Chez-là-bas ou Petit Bois.
Ne croyez surtout pas que je n’étudiais pas. Avant mes promenades nocturnes, je passais d’habitude deux heures sous les lampadaires de l’avenue de Lovanium à répéter mes leçons. Je ne voyais personne à l’entour mais je me sentais observé. Bien des garçons, venant de Limete, Dendale, Moulaert, Ngiri-Ngiri ou Renkin se sont fait corriger parce qu’ils étaient juste venus draguer une fille du quartier à une heure tardive. Dans d’autres quartiers, peut-être pas tous, le scénario était le même. Tout cela pour vous répéter que la ville était plus petite, que presque tout le monde se connaissait et que tout se savait. Ce n’est plus le cas de nos jours !
 Aujourd’hui, Kinshasa a beaucoup changé. La ville comprend vingt-quatre communes ; sa population a décuplé.  Le problème de la surpopulation est venu tout chambarder. Les occupations d’espaces verts, de terrains de jeux et même de versants de collines sont venues altérer le paysage de jadis, comme nous le verrons plus tard. L’une de ses conséquences, ce sont ces constructions anarchiques qui ont vu le jour ici et là au vu et au su des autorités qui n’ont rien pu y faire. Dans un régime dirigé par des militaires, il valait mieux pour certains bourgmestres de se la boucler.  Du coup, la pratique s’est généralisée. Les gens nantis ne se sont pas fait prier pour se procurer des parcelles au mépris des règles de l’urbanisme. D’aucuns ne se sont pas gênés pour bâtir à proximité de ravins.
À l’époque où  je fus secrétaire communal de N’Dlili, il y avait un grand précipice derrière le quartier 4 en face de Kimbanseke. Il était là depuis l’ère coloniale. Il était bien circonscrit et il ne menaçait pas la sécurité des citoyens. Je vous ai parlé aussi de Thysville alias Mbanza-Ngungu, la ville aux précipices. Ceux-ci se trouvaient là depuis des années. Ils n’ont jamais constitué un danger quelconque vis-à- vis- des habitations alentour. Au temps colonial, les autorités ont su faire respecter les règles de l’urbanisme.
Depuis que les Congolais ont eux-mêmes pris les rênes du pouvoir, les choses ont radicalement changé. Je suis allé des fois rendre visite à ma cousine Jacqueline qui habite Kisenzo. Il a fallu chaque fois faire un grand détour pour arriver chez-elle. Si à Matadi, ce sont les grosses pierres qui vous barraient la route, à Kisenso, c’était les grandes crevasses. On se demandait comment les habitations n’étaient pas emportées à chaque pluie diluvienne. Personnellement, je n’aurais pas eu sommeil si j’avais à nicher dans ces lieux-là. Si sur les hauteurs de Kisenso les maisons risquaient de s’écrouler à tout moment, plus bas, au sortir et à la limite de Matete, les habitations s’enfonçaient de plus en plus sous terre. Les personnes qui résidaient aux premiers étages avaient l’air de loger dans des sous-sols. Aujourd’hui, vingt-six ans après, je me demande encore comment elles ont pu tenir.
J’ai connu une autre situation à Limete. Nous habitions au bord de la rivière Kalamu. Là ce sont les inondations qui nous foutaient la trouille. À chaque fois que la rivière débordait, nous risquions d’être inondés. Ça faisait l’affaire des gamins qui capturaient des poissons-chats et des grenouilles. Mais, nous, nous ne la trouvions pas drôle !
Grâce à des faits rapportés par les journaux et les médias électroniques, je me suis rendu compte que presque partout à Kinshasa, la terre risque à tout moment de s’effondrer et d’entraîner quelques citoyens dans la mort. Voici des cris d’alarme de certains concitoyens tels que décrits dernièrement par des dépêches et journaux en provenance du pays.
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RADIO OKAPI- L'émission du 16 octobre 2009
Kinshasa : cris d'alarme des femmes suite à l'avancée des érosions qui menacent la cité Mama Mobutu

A Kinshasa, dans la commune de Mont Ngafula, plusieurs maisons sont sous la ménace des érosions. Les femmes habitant cette cité ont marché le mercredi pour attirer l’attention des autorités sur le danger qui guettent leurs habitations en raison du retour de la saison de pluie. Jody Nkashama fait le point avec Pacifique Kahoze, administrateur directeur technique de l’office national des voieries et drainages.

Plusieurs quartiers de Kinshasa sous la menace des érosions. Par Le Potentiel. La ville de Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo, ...
www.lepotentiel.com/afficher_article.php?...

Par  Le Potentiel

La ville de Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo, est sérieusement menacée par des érosions. Celles-ci avancent dangereusement chaque fois que tombe la pluie diluvienne, laquelle inonde beaucoup de quartiers, causant ainsi des dégâts humains et matériels non négligeables. La plupart des quartiers de la capitale sont menacés et les habitants craignent de se retrouver un jour engloutis par les érosions. Elles sont nombreuses qui progressent dans tous les sens pendant la saison des pluies. Les routes sont coupées ou en voie de l’être. De même que les habitations, les édifices publics ou encore les champs et les pylônes électriques de la Société nationale d’électricité (SNEL) sont menacés d’écroulement.

28 juil 2009 ... Mont Ngafula devient le berceau des érosions de Kinshasa. Publié le 16 juillet, 2009 à 12 h 03 min. Devenus une catastrophe depuis longtemps ...

Progression de plusieurs têtes d'érosion à Kinshasa
Plusieurs érosions sur les différents sites à travers la ville de Kinshasa ont progressé de plusieurs mètres et certains ouvrages non parachevés faute de financement ont fini par céder à cause des pluies, a-t-on constaté dimanche lors d'une enquête menée par l'ACP. Il s'agit des sites érosifs de Manenga non loin du centre médical de la direction générale des impôts, le site de l'avenue de l'école, de Kinsuka en amont du Camp Colonel Tshatshi, de Mataba et Laloux à Delvaux et du site de Kingu a l'UPN, à l'ouest de la ville de Kinshasa.

Voilà où nous ont conduits d’une part l’inconscience des citoyens qui ont bâti pêle-mêle faisant fi des interdictions de construire et l’autre part le laxisme complice de nos autorités locales qui ont fermé les yeux sur ces graves irrégularités.

Aujourd’hui, les nouveaux dirigeants de la ville  se penchent sérieusement sur la question, à ce qu’il paraît :

RADIO OKAPI

Binza pompage : les propriétaires des maisons détruites ne seront pas indemnisés

Kinshasa | Jeudi 04 Juin 2009 à 13:03:28

Les maisons démolies lundi dernier par l’hôtel de ville à Pompage et à Kinsuka, dans les communes de Ngaliema et Mont Ngafula, ne seront pas indemnisées. Selon Roger Busima, directeur général de l’Agence des grands travaux, on n’indemnise pas quand il s’agit de constructions anarchiques, rapporte radiookapi.netRoger Busina explique : « Les maisons détruites sont des maisons anarchiques. On n’indemnise pas quand il s’agit des maisons anarchiques. Les maisons anarchiques qui ont été construites sur l’emprise de la route, comme les clôtures qu’on va détruire sur le boulevard du 30 juin, on ne dédommage pas. On dédommage quand l’Etat décide, par exemple, de faire passer une autoroute sur une construction normale. En ce moment là, on dédommage. Et quand c’est une construction anarchique, on ne dédommage pas. »

22 janvier 2009

Démolition des constructions anarchiques scandaleusement érigées en plein Camp militaire Colonel Kokolo à Kinshasa. Sur ordre de sa hiérarchie, le bataillon de la Prévôté Militaire ville de Kinshasa vient de procéder trois jours durant à l’opération de démolition de toutes les constructions anarchiques érigées autour de l’Institut et de l’Ecole primaire du Camp militaire Colonel Kokolo.

Je ne sais pas ce qui se passe au juste avec nos militaires. Dès qu’il y a du désordre quelque part, ils ne sont pas loin.  Dans les pays développés, nous entendons rarement parler des soldats. Ils sont disciplinés, demeurent dans leurs casernes et ne se mêlent pas à la vie des civils. C’est tout le contraire chez-nous : les agents de l’ordre foutent le désordre. La place des militaires est au front. Avec tout ce qui se déroule aux frontières du pays, ce n’est pas le boulot qui leur manque ! Un jour, il faudra songer à déménager tous les camps militaires qui se situent en ville. Qu’on s’inspire de Mbanza-Ngungu où les casernes des militaires se trouvent en dehors de la ville ! Revenons à notre propos du jour. À lire certaines dépêches, il semble qu’on soit en train de réparer les dégâts dans certaines zones. Radio Okapi est un des médias qui en parle souvent.

RADIO OKAPI - Les sites de Manenga et Kinsuka pêcheur n'ont pas eu de financement et aucune action n'a été entreprise tandis que le site de l'avenue de l'école est couvert par un financement de la Banque Mondiale dans le cadre du Programme d'urgence d'investissement social (PURIS). Le site de Mataba a été pris en charge dans sa première phase par le Royaume de Belgique ensuite par le gouvernement sur le fonds PPTE. Les travaux de lutte anti-érosive de ce site, démarrés depuis 2002 n'ont toujours pas été terminés pour rupture de financement. Par ailleurs, les travaux de lutte anti-érosive de Kingu à l'UPN qui ont consisté à la construction d'un ouvrage définitif n'ont pas également connu une fin heureuse pour la même raison, notamment la rupture de financement.
Les travaux ont été exécutés par l'Office des Routes (OR) pour un coût de 790.000 dollars américains. De ce montant, le gouvernement n'a dégagé que 305.000 dollars américains. Les mêmes causes produisant les mêmes effets le collecteur déjà construit (160m) s'est écoulé des suites des orages. Si aucune disposition n'est prise, les pluies des mois d'avril et mai risquent d'emporter la digue construite par l'Office des routes ainsi que les maisons d'habitation des environs
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Comme vous le constatez, les bonnes volontés semblent toujours être là au départ. Mais c’est dans la suite des événements que les choses se gâtent. Difficile de dire pourquoi. L’échangeur de Limete est là qui nous nargue et nous défie. Si les financements pour cette seule partie de la ville, englobant Manenga, Kinsuka et Mataba,  battent de l’aile, qu’en sera-t-il pour l’ensemble de la ville ? Car, à ce qu’il semble, ce sont pratiquement toutes les communes appelées jadis « zones annexes » qui sont confrontées à ce grave problème ?

J’espère que les autorités appréhendent la gravité de la situation. Celle-ci exige d’une part de démolir les constructions anarchiques et d’autre part de boucher les  ravins menaçants. Ce n’est pas tout. Trouver de nouveaux lotissements serait aussi une bonne solution. Mais, où va-t-on les dénicher ? Y a-t-il lieu de lorgner les savanes et terrains semi-boisés de Menkao, Nsele et Maluku ? Cela va occasionner des problèmes de transport pour les citoyens qui y seront relogés. Et puis, dispose-t-on des sous nécessaires pour cette opération ? Cela requerrait carrément de démolir une grande partie des zones jadis dites annexes ! Y aura-t-il assez de place et d’argent pour localiser ces citoyens ? Est-on entrain de songer à redessiner la carte de la Ville de Kinshasa en tenant compte de toutes ces modifications urbanistiques ?

Pour paraphraser Véron-Clément Kongo, qui invitait les autorités à ne pas faire du cinéma dans l’exécution des mesures visant à démolir les constructions anarchiques, je dirai la même chose pour sécuriser l’ensemble de la population kinoise. Nous ne sommes pas au temps de l’Atlantide mythique. Une partie de Kinshasa risque un beau jour d’être rayée de la carte. La vie de millions de citadins est en danger. C’est une réalité. Ce n’est pas du cinéma. Il faut agir et vite !

Demain : Le volet  #2 : La signalisation routière.

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