RD Congo - Conte - Tala mbote, camarade!

Publié le par Vieuxvan

                   Vieuxvan.overblog.com

Mardi 8 mars 2011  

 

*****************************

L’événement du jour

Deux incidents majeurs ont attiré l’attention hier. Le premier impliquait l’une des actrices du film Slumdom Millionnaire dont la demeure a été victime de flammes.

Triste nouvelle pour une actrice de Slumdog ...

 

Le second concernait un crash d’avion qui a fait 6 morts en Russie. Ah ! Ces avions russes ! Quand je pense aux crashes qui ont eu en RDC ! 

Russie : un crash d'avion fait 6 morts

L’article du jour

 

RD Congo-  Conte - Tala mbote, camarade !

 

Parmi mes ouvrages en attente de publication, à part les scénarios de films, figurent 13 contes dont 7 hérités de feue ma mère, Thérèse Nsemba, alias Lili – d’aucuns m’accuseront sans doute encore d’être arrogant ; il n’ y a jamais eu personne pour faire ma publicité ; alors, je la fais moi-même. Ce matin, voulais-je dire, alors qu’une tempête de neige s’abattait sur Montréal - 50 centimètres de neige - paralysant bien des secteurs d’activités,  je suis resté bloqué chez-nous, prisonnier de la neige, comme la plupart des Montréalais et Québécois. Les annonceurs de la météo à la télévision nous avaient prévenus. Toutes les villes, les routes, les campagnes avaient l’air d’être ensevelies. Tout était d’un blanc immaculé. Il a fallu m’y reprendre plusieurs fois avec ma pelle pour dégager notre entrée. Nos voisins se livraient au même exercice, boudant, sacrant et tempêtant. Comme je suis quelqu’un de positif, plutôt que d’être maussade et de broyer du noir,  j’ai pris la chose du bon côté. J’ai ferme la TV qui ne parlait que de la tempête de neige et de la situation chaotique en Libye.  Time is money (Le temps, c’est de l’argent). Quand on n’a rien à faire, surtout dans ces pays dits industrialises où des fois on s’ennuie à mort, il faut s’inventer une activité. Je me suis donc étendu sur mon canapé, regardant les flocons de neige tomber dehors par le rideau tiré de l’un de nos deux salons, celui décoré à l’africaine, qui fait face à notre cour arrière. Alors, soudain nostalgique, je me suis mis à rêvasser, regrettant le soleil de mon pays, au temps de mon adolescence. De fil en aiguille, je me suis rappelé plusieurs choses : ma défunte grand-mère qui me talonnait partout, m’empêchant de faire la cour aux jeunes filles ; Songa-Lumueno, le village de mon père; ainsi que les soirées au clair de lune pendant lesquelles nous assistions à des danses. Je me souviens de ce batteur virtuose qui boitait, de ces chanteurs qui s’égosillaient et de ces danseuses qui se trémoussaient et se contusionnaient, secouant les épaules, dandinant sur leurs jambes,  faisant deux pas en avant, reculant de deux pas, virevoltant, tournoyant sur elles-mêmes, imprimant divers mouvements à leurs hanches et fesses.

 

 

 

L’une des chansons m’est revenue, comme si c’était hier :

 

-E una kandangamena kuandi nya mboda (il a voulu flirter avec moi)

 Wau kizolele kuame ko (comme j’ai refusé)

 Mvolele nkanu ; kiadi e yaya ( il m’en veut, c’est dommage)

 Nikuna ! Nikuna ! Nikuna ! (Bouge ! Bouge ! Bouge !

 

De toute beauté ! Quel spectacle ! Mais, moi, je me contentais d’applaudir. Dès qu’une danseuse m’adressait un clin d’oeil, ma grand-mère lui tirait la langue ! Quels doux souvenirs !

 

Du coup, j’ai eu une idée géniale. Le batteur de tam-tam m’a inspiré. Un 14ème conte est né ! Je vous en livre juste le synopsis parce qu’il y a un enseignement à en tirer pour certains de nos jeunes d’aujourd’hui en mal de gloire. Bonne lecture !

 

À  Kyoto, un village africain, vivait une famille composée de six membres. Il y avait Suku, le père, fils d’un batteur de tam-tam décédé, qui tenait son talent héréditaire de ses aïeux. Il y avait  la mère Dinanga, nièce et héritière d’un ancêtre planteur éleveur, qui lui avait légué sa ferme. Elle y faisait de  élevage et avait ses champs de café et de noix de cola.

 

Plusieurs ouvriers étaient à son service car la ferme était immense. Le couple avait trois fils : Lobo, Ndala et Amona, respectivement âgés de 30, 26 et 22 ans, ainsi qu’une fille de 20 ans Lukani. Celle-ci priait beaucoup. Ses frères se moquaient d’elle.

 

Avec tout ce que gagnait Dinanga, la famille vivait dans une relative abondance. Sauf que, depuis plus d’un siècle, leur  village avait un groupe de danseurs dirigé par Suku. Ce dernier était très célèbre dans toute la région. C’était un batteur de tam-tam émérite et hors cadre.  Ses enfants faisaient partie de son groupe dénommé « Je m’en fous ». Lobo était batteur accompagnateur ; Ndala, chanteur 2ème voix et Amona,  danseur.

 

Chaque année, se tenait à Kimpese, chef-lieu de leur secteur, situé à une cinquantaine de kilomètres, une des gares sur le chemin de fer Kinshasa-Matadi, un grand festival de danses traditionnelles. Des musiciens venus de tous les coins de la province du Bas-Congo s’y donnaient rendez-vous. Ils arrivaient de Kasangulu, Ngeba, Lemfu, Ngidinga, Gombe-Matadi, Luozi, Luvaka, Songa-Mani, Kitobola, Songololo, Mbanza-Ngungu, Matadi, Lukula, Moanda et autres villes. À chaque compétition, les danseurs de Kyoto remportaient la palme. Suku avait un don inné de faire résonner le tam-tam. Les mauvaises langues racontaient qu’il avait vendu son âme au diable, ce qui était tout à fait faux. Son don inné lui venait de Dieu. Toutes les femmes lui couraient après, comme un Casanova, mais il n’en avait cure. Sa femme Dinanga lui procurait tous les plaisirs et satisfactions de la vie. Cela faisait des jalouses, évidemment, mais elle s’en fichait. Elle bien dans sa peau parce que belle et relativement riche pour une villageoise.

 

Or, Suku, devenu vieux, décida de confier son groupe à sa postérité. Il se contenta de continuer à composer des chansons, mais il laissa à ses fils le soin de poursuivre son œuvre qui consistait à se

produire en public. Il leur demanda de s’organiser à leur façon. Le « Trio Londam » était né !Décidément, en RDC, on affectionne créer des trios: Les Madjesi, Les Mamaki, les Mayopi, les Dasufa. En veux-tu ? En voilà !

 

La date du prochain festival étant proche, le chef du village convoqua les trois fils de Suku et leur demanda si l’un d’entre eux était capable de prendre la place de son  père à l’avant-scène en qualité de chef du groupe. Ils promirent d’y réfléchir.

 

Non loin de là, au village Bangu, vivait Ogougou, un Ouest africain célèbre. Il était marabout. Des gens venaient de partout le consulter, se faire soigner ou encore acheter la chance. Les trois frères tirèrent au sort, lequel désigna Lobo, l’aîné.

 

Le lendemain, Lobo, ce dernier se présenta chez Ogougou. L’intérieur de la maison de celui-ci regorgeait d’objets hétéroclites : des masques, des têtes de morts, des amulettes, des miroirs et autres objets accrochés au mur.

 

Intimidé, Lobo s’assit devant le marabout. Ce denier lui demanda ce qu’il voulait.

 

- Je veux remplacer mon père.

- Tu veux devenir batteur comme lui ?

- Oui.

- Il a un don inné, lui. Toi, tu ne l’as pas ?

- Je veux acheter ce don.

- Le talent, oui ; le don ne s’achète pas. Il est inné.

- Dans ce cas, vas-y pour le talent !

 

Ogougou, roulant les yeux, sortit un jeu de cartes et se mit à battre celles-ci.

 

- Il faut donner quelque chose,

- Quoi ? S’enquit Lobo.

 

Le marabout continua à manipuler ses cartes et à les retourner sur la table.

 

- Tala mbote, camarade ! Baka mundele, gagné ; baka ndombe, perdu. Gagné, gagné ; perdu, perdu !

  (Tu tires un Blanc, tu gagnes ; tu tires un Noir, tu perds)

 

Il retourna une des cartes et l’abattit sur la table. C’était un valet de coeur.

 

 - Apporte-moi un poulet. Que personne ne le sache !

 

Lobo s’en alla. Il s’empara d’un poulet à l’insu de tous, sauf ses deux frères, et l’apporta au marabout. Celui-ci le prit et n’émit aucun commentaire. Lobo retourna dans son village. Le soir, une de ses cousines perdit son fils de dix ans. Tout le village fut en deuil.

 

Un mois plus tard, tout rentra dans l’ordre. Durant les soirées de pleine lune qui suivirent, les danseurs du village s’exhibèrent, heureux de trouver un remplaçant à Suku. On se disait :

 

- Il s’est amélioré ! Quel virtuose ! Tel père, tel fils !

 

Personne cependant, à part les trois frères, ne se douta de ce qui s’était passé. 

Le groupe se mit à parcourir la région pour agrémenter diverses cérémonies : anniversaires, retraits de deuil, etc. Lobo se surpassait. Il avait des filles pleins les bras.

 

Quelques mois plus tard, tous les groupes de la région se retrouvèrent Kimpese pour la grande compétition. Le groupe de Kyoto fut battu par un nouveau groupe venu de Gombe Matadi dans le territoire de Mbanza-Ngungu. Les habitants de Kyoto furent consternés. Les danseurs disaient :

 

- La faute est dans le chant.

 

Les trois frères se consultèrent. Comme Lobo ne pouvait chanter et jouer le tam-tam en même temps, ils convirent que Ndala devait rehausser le timbre de sa voix. Une semaine plus tard, Ndala, le puîné, se présenta chez Ogougou. Le cérémonial fut identique :

 

- Tala mbote, camarade. Baka mundele, gagne ; baka ndombe, perdu !

 

Il lui retourna une dame de trèfle :

 - Apporte-moi une poule.

 

Ndala fit comme Lobo l’avait fait. Il apporta une poule au marabout. Le soir, une de leurs tantes maternelles mourut. Tout le village fut de nouveau en deuil

 

Le groupe continua à parcourir la région pour donner des spectacle et agrémenter diverses cérémonies.  Lobo et Ndala se surpassaient. Les filles se ramassaient à la pelle !

 

Quelques mois plus tard, tous les groupes de la région se retrouvèrent de nouveau à Kimpese pour la grande compétition. Le groupe de Kyoto fut encore une fois battu par un nouveau groupe venu de Ngidinga dans le territoire de Madimba. Les habitants de Kyoto furent de nouveau frustrés. Les danseurs disaient :

 

- La faute est dans le pas de danse.

 

Une semaine plus tard, Amona, le cadet des frères, se présenta à son tour chez Ogougou :

Le marabout sortit un jeu de cartes habituel et opéra comme les autres fois:

 

-Tala mbote, camarade. Baka mu ndele, gagne ; baka ndombe, perdu…

 Apporte-moi un bouc !

 

Le soir, un de leurs oncles maternels mourut. Tout le village porta un autre deuil.

 

Le groupe se remit à l’ouvrage et continua à parcourir la région pour donner des spectacles. Lobo, Ndala et Amona faisaient des merveilles. Toutes les filles leur couraient après.

 

Quelques mois plus tard, tous les groupes de la province se regroupèrent de nouveau à Kimpese pour la grande compétition. Le groupe de Kyoto fut encore une fois battu par un nouveau groupe venu de Lukula dans le Mayumbe. Les chanteurs et danseurs épatèrent avec leur rythme intitulé  « Mai Doda » Les habitants de Kyoto furent consternés et même révoltés. Cela faisait trois ans de suite qu’ils se faisaient damer le pion.

Deux semaines plus tard, les trois frères se retrouvèrent devant Ogougou.

Le marabout sortit un jeu de cartes et se mit à battre et à jouer :

 

- Tala mbote, camarade. Baka mu ndele, gagne ; baka ndombe, perdu… Donnez-moi  une vache !

 

Les trois frères  s’arrangèrent pour acheter une vache appartenant au cheptel familial sans trop débourser. Leur mère n’y prêta pas attention, se disant qu’ils voulaient se faire un peu de pognon.
La bête fut livrée au marabout. Ce soir-là, contrairement aux autres fois, personne ne mourut dans le village. 
Deux semaines plus tard, réunis au clair de lune pour célébrer l’anniversaire de l’épouse du chef du village, les trois frères, qui s’exhibaient avec leur groupe, donnèrent une piètre performance. Rien n’allait plus. Les villageois regagnèrent leurs cases, déçus du spectacle.
Le lendemain, les trois frères retournèrent voir Ogougou. Ils reçurent une mauvaise nouvelle : le marabout avait transporté ses pénates ailleurs : il était retourné dans son pays, au Togo.
Quand ils revinrent chez-eux, la queue entre les pattes, ils sursautèrent. Tout le village, réuni  autour du chef du village, les attendait de pied ferme. Et pour cause ! Au pied du baobab, au milieu du village, au lever du soleil, des femmes, qui s’apprêtaient à aller puiser l’eau à la source, située à deux kilomètres, au pied de la colline qui descendait du village, avaient trouvé un poulet, une poule, un coq et une vache attachés. Un bout de papier avait été collé au fil de chanvre qui les attachait à l’arbre  avec ces quelques mots : « Tala mbote camarade » Au même moment, un des vieux sorciers du village vint, titubant et  s’appuyant sur sa canne. C’était un ivrogne qui avait fait sienne l’adage « in vino veritas ». Lorsqu’il avait un peu trop picolé et tiré sur sa ration quotidienne de « nsamba » (vin de palmier), ses idées devenaient plus claires et il devenait volubile en révélations. Il  se présenta devant le chef du village et déclara, en désignant les trois frères :

 

- Ils se sont fait rouler.

 

Il leur raconta l’histoire d’Ogougou et des sacrifices dans les moindres détails.

 

- Le marabout a essayé de faire mourir leur mère. Il a échoué. Nos défunts ancêtres lui ont ordonné de quiller les lieux illico presto.

La mère fut peinée de voir ce que ses fils avaient fait. Le chef du village décida de dissoudre le groupe. Tous les villageois huèrent les trois frères, fils de l’artiste. On failli même les lapider. Ils eurent la vie sauve grâce à leur mère qui s’interposa :

- Laissez-moi les punir de leur convoitise ! Dit-elle. Je vais les assigner des à corvées dont ils se souviendront !

Désormais privés de pouvoir et incapable de jouer, chanter ni danser, les trois frères durent se rendre à l’évidence. Ils étaient devenus des gens ordinaires. Leur mère tint parole. Elle les affecta à des travaux salissants, qui à traire les vaches, qui à nettoyer la porcherie, qui d’autre à vider les poubelles et fosses sceptiques. Chaque fois qu’un passant croisait l’un d’entre eux, il le désignait du doigt, en disant :

- Hé ! Voici un des trois frères fils de l’artiste ! »

Ils étaient devenus la risée de toute la région. Ils ne pouvaient aller nulle part sans se faire remarquer.

Leur soeur Lukani, qui priait beaucoup et secondait sa maman pour diriger l’entreprise, continua, elle, à faire preuve de fidélité et de compétence. Plus tard, celle-ci se maria au pasteur du village et eut deux enfants dont un fils, nommé Zoé. Il était beau. Un vrai adonis !

À  douze ans, ce dernier se mit à jouer de la guitare et à chanter. On disait de lui :

- Il a hérité du don de son grand-père et des talents de ses oncles.

Hélas ! Pendant que le grand-père enseignait à chanter à son petit-fils, ses fils, eux, les trois frères cupides, n’étaient plus que l’ombre d’eux-mêmes.  Ils furent même mis en chanson :

Lobo, Ndala, Amona

Bande de sorciers ! Ha ! Ha !

Lobo, Ndala, Amona

Réduits au néant. Ha ! Ha !

Bawela, bazanga. Ha ! Ha !

Bawela, basuka. Ha ! Ha !

Un jour, quand Zoé eut dix-huit ans, un commerçant, de passage dans la région, le remarqua et demanda de l’amener avec lui.

Deux ans plus tard, Zoé devint le chef de groupe d’un grand orchestre moderne auquel il donna le nom de « 1-3-1 », le 1 représentant son grand-père, le 3 ses trois oncles et le 1 lui-même. Il eut beaucoup de succès et ses risques se vendaient partout comme de petits pains pendant qu’on entendait sa guitare, sa voix et son orchestre sur toutes les radios du pays ainsi que sur toutes les bouches de ses centaines de milliers de fanatiques. Il s’était acheté des voitures et des résidences de luxe.

Il revint faire un tour au village où  il fit construire une grande bâtisse moderne pour ses grands-parents et une autre pour ses parents. Tous les trois mois, il venait faire un saut au village, apportant des cadeaux à ses grands-parents, à  ses parents ainsi qu’à tous les habitants du village. Son nom fut à jamais gravé sur le tronc du baobab au milieu du village.  C’est lui, Zoé, qui devint le vrai héros !

« Tala mbote, camarade ! »  Ce conte est une invite à la réflexion  pour tous ceux qui croient que le talent et les honneurs s’achètent. Mes amis, méfiez-vous des marabouts. Certains d’entre eux sont des escrocs !

oooooooooooooooooooooooooooooooooooooooo

La pensée du jour

Il n’y a pas de sot métier. N’enviez pas ceux des autres.

Efforcez-vous de bien exercer le vôtre !

 

ooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooo

À demain!

Rose Laurens - AFRICA-

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article